
Comment renforcer les créations d’emplois au Maroc selon l'IRES
Face aux dysfonctionnements structurels du marché de l’emploi national, l’Institut Royal des études stratégiques propose une batterie de mesures opérationnelles articulées autour de cinq axes stratégiques. L’économie numérique, avec l’attraction des géants technologiques comme Google et Microsoft, figure en tête des priorités sectorielles. La filière maritime émergente, les industries du futur et l’agriculture intelligente complètent cette vision de diversification. L’IRES souligne qu’il faut miser également sur le statut de freelance, l’entrepreneuriat rural et la lutte contre la «déperdition professionnelle des femmes». Ces orientations visent à «améliorer le contenu en emplois de la croissance économique marocaine» à travers une approche territoriale et inclusive.
Après avoir identifié les quatre nœuds structurels qui entravent la création d’emplois au Maroc, l’Institut Royal des études stratégiques (IRES) formule ses recommandations dans une feuille de route opérationnelle. L’objectif affiché : transformer les fragilités diagnostiquées en leviers de croissance inclusive. «Cette dernière partie est consacrée à la formulation de propositions qui seront déclinées en mesures opérationnelles, sous la forme d’une feuille de route à même d’améliorer le contenu en emplois de la croissance économique marocaine», précise le document de l’Institut qui vient d’être rendu public. L’IRES tient toutefois à préciser que «la problématique de l’emploi est complexe et ne peut se résumer uniquement à une question d’offre et de demande sur le marché du travail».
L’économie numérique, locomotive de la transformation
Premier axe stratégique : le ciblage sectoriel. L’IRES place l’économie numérique au cœur de ses recommandations, s’inspirant de l’expérience malaisienne. «La Malaisie a réussi son pari dans l’économie numérique en se basant sur un tissu productif semblable à celui du Maroc, composé dans sa majorité de PME», soulignent les rédacteurs du rapport. La stratégie proposée vise à «attirer les grandes entreprises du numérique telles que Google, AWS, Byte Dance, Nvidia et Microsoft pour investir dans le secteur numérique marocain, car leurs besoins futurs en travailleurs qualifiés sont conséquents». L’IRES détaille les conditions de cette attractivité : développement de l’écosystème numérique, instauration de réglementations en matière de protection des données, incitations fiscales pour les centres de données et exonérations des taxes d’importation sur les équipements nécessaires.L’exemple malaisien proposé illustre le potentiel de cette approche. «Entre 2021 et 2023, plus de 25 milliards de dollars ont été investis dans des centres de données et services cloud en Malaisie, notamment par des géants du secteur tels que Amazon Web Services, Microsoft et Google», rapporte l’étude de l’IRES. Google affirme que ces investissements devraient «contribuer à hauteur de plus de 3,2 milliards de dollars au PIB, avoir un impact positif sur l’économie et créer 26.500 emplois d’ici 2030».
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L’industrie manufacturière, multiplicateur d’emplois formels
Parallèlement à la transition numérique, l’IRES préconise de maintenir le soutien au secteur manufacturier, «vrai pourvoyeur d’emplois» qui «contribue également de manière significative à l’innovation». L’argument est statistiquement étayé : «Au niveau mondial, chaque emploi dans l’industrie manufacturière crée 2,5 emplois dans d’autres secteurs», selon l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel, citée dans le rapport. Cette approche vise à «dynamiser le tissu productif en orientant la production nationale vers les branches et filières à forte valeur ajoutée» tout en renforçant la résilience économique. «Un secteur manufacturier solide (d’exportation et/ou orienté vers le marché intérieur) résiste mieux aux chocs extérieurs en termes de survie de l’entreprise et de l’évolution de l’emploi», analysent les experts de l’IRES.Les industries du futur : la filière maritime en ligne de mire
L’Institut identifie un secteur émergent porteur : la filière maritime. «98% des communications transitent par des câbles sous-marins. Ces câbles sont conçus, installés, entretenus par les acteurs de la filière marine», rappelle l’étude. Cette réalité ouvre des perspectives considérables pour le Maroc. Les recommandations portent sur plusieurs segments : renforcement de l’aquaculture, traitement des algues, la construction et la réparation navale, la croisière, les loisirs et sports nautiques, les énergies renouvelables, transports et logistique, la biotechnologie ou encore le dessalement source de création d’emplois.Plus ambitieuse encore, la proposition d’«être proactif concernant l’exploitation des gisements marins (manganèse, cobalt, molybdène, titane, lithium) pour avoir sa place dans les industries du futur et le développement de l’éolien offshore». L’IRES suggère une coopération avec des constructeurs (chinois, danois et français...) et des opérateurs (danois, allemand...) pour positionner le Maroc comme «un relais pour les pays du continent africain».
Le freelance, statut d’avenir pour jeunes et femmes
Le deuxième axe concerne le ciblage des groupes. L’Institut mise sur le statut de freelance qu’il présente comme «le mieux adapté pour les métiers de l’avenir mais aussi les métiers traditionnels». Cette approche inclusive «peut inclure plusieurs domaines comme les métiers de la Tech, les métiers de la Data, l’expertise en intelligence artificielle, en cybersécurité mais aussi l’esthétique, la coiffure et les métiers artistiques».L’objectif affiché : créer des emplois pour les jeunes et les femmes, faciliter la mobilité des travailleurs et les inciter à être plus innovants. Une orientation qui répond à une tendance observée au Maroc où existe une tendance significative à la hausse de l’emploi salarié (57,8% en 2024), au détriment de l’auto-emploi (30,1%), relève l’étude.
L’entrepreneuriat rural, nouvelle frontière
L’IRES préconise également de «soutenir activement l’entrepreneuriat rural pour les jeunes», s’appuyant sur une dynamique internationale. Le retour au rural est une stratégie en plein essor (en Chine, en France, au Brésil...). Les résultats sont encourageants, notent les rédacteurs du rapport. Cette approche vise à faciliter l’emploi pour les jeunes ruraux sans diplômes et les jeunes ruraux et urbains entrepreneurs. Les bénéfices sont multiples selon l’étude : «Ces activités ont l’avantage d’avoir un effet immédiat pour la population en termes de sécurité alimentaire et de revenu. Elles réduisent aussi l’exode rural et l’informel, augmentent le rendement agricole, réduisent la consommation d’eau et facilitent l’accès au marché et au financement».Lutter contre la «déperdition professionnelle des femmes»
Parmi les groupes ciblés, les femmes occupent une place centrale dans les recommandations de l’IRES. L’Institut dénonce un «phénomène ancestral» qui «entraîne, à l’heure où le niveau éducatif des femmes dépasse celui des hommes au niveau mondial (une première dans l’histoire de l’humanité), des pertes de compétences considérables pour les pays».Le diagnostic est précis : le taux d’inactivité élevé concernant certaines catégories de femmes n’est pas uniquement lié au désespoir de trouver un emploi sur le marché de travail, mais également à un renoncement «déculpabilisant». Cette situation concerne particulièrement «des travailleuses qualifiées, voire hautement qualifiées (cadres, ingénieures, juristes...) qui ont des enfants à charge». Les solutions proposées incluent notamment de laisser au couple le choix éventuellement de «conjugaliser» le congé de maternité et l’aménagement des horaires de travail (qui deviendront une option pour les pères aussi) pour permettre aux femmes de se maintenir en poste et d’évoluer.
PME et financement : individualiser les montants
Le troisième axe porte sur les entreprises. L’IRES recommande d’améliorer l’accès au financement pour les porteurs de projets et les PME, avec le renforcement des dispositifs de soutien financier aux entrepreneurs, en particulier, les jeunes et les femmes qui manifestent la volonté. Une mesure particulière retient l’attention : «Individualiser les montants des prêts sans intérêts et des garanties de crédit bancaire octroyés pour le financement des projets dans le cadre des programmes d’emploi pour les jeunes». La justification est pragmatique selon l’étude de l’IRES : les montants élevés dissuadent de nombreux jeunes de monter leurs projets par crainte d’être ruinés et par manque d’expérience dans la gestion des moyens financiers.Formation et «système de compensation»
Le quatrième axe concerne la formation et l’éducation. L’IRES propose d’instaurer un système de compensation, en exigeant des industriels étrangers de proposer des programmes de formation favorisant le développement technologique et l’économie de la connaissance pour permettre aux entreprises locales l’accès à la chaîne d’approvisionnement du marché mondial. Les exemples internationaux alimentent cette réflexion : «La Malaisie qui exige des investisseurs étrangers des programmes de développement technologique pour le pays» ou «l’Australie qui, par exemple, en passant la commande d’importation de sous-marins à la France en 2016 a exigé qu’ils soient fabriqués avec une partie de la main d’œuvre locale et des intrants locaux. Le contrat prévoyait la création d’environ 2.200 emplois du côté australien contre 4.000 du côté français».Une gouvernance territoriale renforcée
Le cinquième et dernier axe porte sur le marché du travail lui-même. L’IRES recommande de «territorialiser les politiques de l’emploi en les adaptant aux spécificités des régions pour maximiser l’impact et réduire les disparités territoriales». Cette approche implique de décentraliser les politiques de l’emploi en vue de rehausser le niveau des élus et développer les activités locales créatrices d’emplois. L’IRES propose également de créer une agence nationale de prospective des métiers de l’avenir pour identifier les besoins en emplois et en compétences en rapport avec les changements et les mutations liés au progrès technologique, à l’environnement. L’objectif final étant de garantir «le succès des politiques et stratégies en faveur de la création d’un marché de travail efficace, dynamique et inclusif». Une ambition qui nécessite, selon les experts de l’IRES, une coordination sans précédent entre tous les acteurs économiques et sociaux du Royaume.Malaisie et Corée du Sud, des modèles à suivre par le Maroc ?
Plus de 25 milliards de dollars ont été investis dans des centres de données et services cloud en Malaisie entre 2021 et 2023, générant selon Google un impact de plus de 3,2 milliards de dollars sur le PIB et la création de 26.500 emplois d’ici 2030. Ces performances, analysées dans le rapport de l’IRES, montrent comment une stratégie numérique volontariste peut transformer le marché du travail et inspirer le Maroc dans sa quête d’emplois durables.La révolution numérique malaisienne: un modèle transposable
L’étude menée par l’Institut Royal des études stratégiques (IRES) met en lumière la stratégie malaisienne de transition numérique. Le pays a adopté un plan en faveur de l’économie numérique pendant la crise de Covid-19 qui s’inscrit dans le cadre du 12e Plan de développement pour 2021-25, visant l’adoption des technologies numériques par les PME et une amélioration des compétences de leurs salariés.
Cette approche présente des similitudes avec la structure économique marocaine. Comme le souligne le rapport, la Malaisie dispose d’un tissu productif composé dans sa majorité de PME, à l’instar du Maroc où 93% des entreprises sont des PME, selon les données du HCP citées dans l’étude. La réussite malaisienne repose sur un accompagnement spécifique de ces petites structures vers le numérique et le commerce électronique.
L’alignement des programmes d’enseignement et de formation sur les besoins du marché du travail constitue l’autre pilier du succès malaisien. Le document révèle que cette synchronisation a permis la croissance de milliers de startups et l’intégration réussie dans les chaînes de valeur mondiales, notamment dans le secteur automobile où plus de 96% des véhicules vendus en Malaisie sont produits ou assemblés localement.
L’exemple sud-coréen : innovation et capital humain
La Corée du Sud offre un autre modèle pertinent analysé par les experts de l’IRES. Ce pays asiatique a misé sur l’éducation pour anticiper les besoins futurs du marché du travail, aboutissant à une population active hautement éduquée avec 89% des 25-64 ans diplômés du deuxième cycle du secondaire, soit plus que la moyenne de l’OCDE. Cette politique éducative s’accompagne d’investissements massifs dans la recherche et développement.
Le rapport indique que la Corée du Sud est le deuxième pays le plus dépensier au monde en proportion du PIB en 2021 avec 4,6%, permettant au pays de passer de la 28e place en 2019 à la 12e place en 2024 concernant les compétences et de se positionner au sixième rang parmi 62 pays dans le domaine de l’intelligence artificielle. L’approche sud-coréenne intègre également une dimension prospective avec la mise en place de mécanismes sectoriels et régionaux de compétences pour élaborer des stratégies proactives face aux défis technologiques et environnementaux, comme la «stratégie nationale pour une croissance verte» à l’horizon 2050.
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Mots Clés : Marché de l'emploi | Économie numérique | Freelance | Entrepreneuriat rural | Femmes | Industries du futur | PME | Formation et éducation