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ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR : LES MASTERS À TROIS VITESSES DE AZEDDINE MIDAOUI - PAR BILAL TALIDI

Entre logique académique et calcul politique, le ministre de l’Enseignement supérieur, Azeddine Midaoui, sombre dans une contradiction de taille. D’un côté, il prône l’ouverture totale des masters aux titulaires d’une licence, au nom de l’égalité des chances. De l’autre, il défend la création de filières d’excellence et d’autres payantes destinées aux fonctionnaires sans se soucier que c’est un Master à trois vitesses qu’il met en place

Un tournant discursif inattendu

Il y a cinq mois, lors d’une séance de questions orales à la Chambre des représentants, le lundi 2 juin dernier, le ministre de l’Enseignement supérieur, Azeddine Midaoui, avait insisté sur la nécessité d’ouvrir l’accès aux masters à tous les étudiants. Il avait même ordonné aux présidents d’université de garantir ce droit, précisant que la sélection ne serait désormais appliquée qu’aux « masters d’excellence ».

Et il y a deux jours, le même ministre, lors de la présentation du budget sectoriel de son département devant la Commission de l’enseignement, de la culture et de la communication, annonçait l’ouverture de filières payantes de master et de doctorat, destinées aux fonctionnaires, au sein des universités marocaines.

Ces deux déclarations réunies donnent une image paradoxale : les universités abriteraient désormais trois catégories de masters — les masters ouverts à tous les titulaires d’une licence, les masters d’excellence soumis à sélection, et enfin des masters payants réservés aux fonctionnaires capables d’en payer le coût.

La gratuité en question, mais le danger ailleurs

Beaucoup ont focalisé le débat sur la supposée remise en cause de la gratuité de l’enseignement supérieur. Le ministre, de son côté, a tenté de rassurer en affirmant que cette mesure ne concernait pas les étudiants, mais une catégorie de professionnels qui, depuis trente ans, versaient déjà des frais pour obtenir des diplômes non reconnus.

Mais, au-delà de la question financière, c’est un autre danger qui s’installe : celui d’une inflexion populiste dans le discours du ministre. Azeddine Midaoui, jusque-là reconnu pour son approche rationnelle et mesurée des dossiers complexes, semble désormais céder à la tentation du geste politique à effet immédiat.

Une contradiction pédagogique et institutionnelle

Première anomalie : il n’existe dans aucune université marocaine de masters « ouverts » à tous les titulaires d’une licence. Tous les cursus, sans exception, sont régis par des procédures de sélection et d’entretien. De même, il n’existe pas encore de distinction formelle entre les masters ordinaires et les masters dits d’excellence.

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En jetant la responsabilité sur les présidents d’université, en leur demandant d’inscrire tout diplômé souhaitant poursuivre un master, le ministre s’est aventuré sur un terrain dangereux. Cette posture relève d’une forme de populisme éducatif, d’autant plus qu’elle est intervenue dans un contexte politique délicat — celui de la polémique autour du dossier « sexe contre notes ». Cherchant à détourner l’attention, le ministre a avancé l’idée qu’il fallait en finir avec les critères de sélection, perçus comme sources d’injustice.

Mais ce faisant, il a franchi deux lignes rouges : il a d’abord porté atteinte au principe d’autonomie universitaire, puis il a ignoré les contraintes réelles du système. L’ouverture d’un master repose sur des critères pédagogiques précis, dont la disponibilité de ressources humaines pour l’encadrement, et dépend de postes budgétaires que le ministère n’a pas encore débloqués — non seulement pour créer de nouveaux parcours, mais même pour permettre à ceux déjà soumis à évaluation d’obtenir l’agrément de l’Agence nationale d’évaluation et d’assurance qualité de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique.

Le pragmatisme cède au populisme

La véritable inquiétude ne réside donc pas dans l’instauration de masters payants pour les fonctionnaires, ni dans le débat sur la gratuité — question secondaire et périphérique —, mais dans ce que cette évolution révèle du système universitaire lui-même.

Le Maroc est-il prêt à accueillir un modèle de formation différencié selon le profil du candidat et le niveau de financement ? Les masters obéiront-ils tous aux mêmes critères académiques et de qualité ? Ou assistera-t-on à un glissement silencieux vers une université à deux vitesses, où certaines filières bénéficieraient d’un allègement des critères d’agrément et de suivi au nom du pragmatisme budgétaire ?

En voulant répondre à la fois à la demande sociale et aux impératifs administratifs, le ministre risque de brouiller le cap stratégique d’un secteur déjà fragile. Entre rationalité et populisme, il y a souvent moins un équilibre qu’une pente : celle où la communication politique prend le pas sur la rigueur académique.

Deux échantillons pour mesurer le malaise

Pour comprendre la gravité des récentes déclarations du ministre, il suffit d’examiner deux échantillons issus des rapports de l’Agence nationale d’évaluation et d’assurance qualité de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique.

Le premier concerne l’évaluation des filières de master avant leur accréditation, afin de vérifier leur conformité aux standards pédagogiques, administratifs et scientifiques. Ce processus, régulier et continu, est mené chaque année par l’Agence.

Le second échantillon se rapporte à l’évaluation postérieure à l’accréditation des masters. À ce jour, un seul rapport de ce type a été publié : celui de 2017, rendu public en 2018, avant que ce travail d’un grand intérêt ne soit interrompu.

Des déficiences récurrentes dans les masters universitaires

Le rapport annuel de 2021 révèle que 30 % des filières de master de l’enseignement supérieur public n’ont pas été accréditées, soit parce qu’elles ont été rejetées, soit parce qu’elles n’ont pas répondu aux observations formulées, soit parce qu’elles n’ont tout simplement pas été évaluées.

Le rapport note également plusieurs anomalies : certaines filières ne respectent pas les conditions d’accès définies dans leurs dossiers descriptifs ; d’autres ne prévoient pas les travaux dirigés ou pratiques pourtant obligatoires ; dans certains cas, les coordinateurs pédagogiques ne sont pas spécialisés dans les domaines qu’ils encadrent ; plusieurs programmes ne précisent pas la charge horaire des activités pratiques ; et la majorité souffre d’un manque évident de moyens logistiques.

À ces lacunes s’ajoute une remarque récurrente dans les rapports de l’Agence : la pénurie d’enseignants qualifiés pour répondre aux besoins liés à l’ouverture de nouvelles formations.

Un suivi post-accréditation inquiétant

Le rapport unique de 2018, consacré à l’évaluation des masters accrédités en 2017, dresse un constat tout aussi préoccupant. Il y est mentionné que certaines filières ne respectent pas les critères d’accès ; que des programmes sont gérés sans concertation avec les directions d’établissement ; que les enseignants annoncés dans les unités ne sont pas toujours ceux qui assurent effectivement les cours ; et que certaines matières enseignées ne correspondent pas à celles décrites dans les documents officiels.

À l’exception des masters des facultés de sciences, la plupart des filières ne comportent pas de travaux dirigés ou pratiques. L’Agence relève un consensus parmi le corps enseignant sur la pénurie des ressources humaines et les difficultés à trouver des encadrants capables de superviser correctement les unités et les mémoires de recherche, notamment en raison des départs à la retraite.

Un déficit structurel devenu politique

Ces constats tirés des deux échantillons convergent vers deux conclusions majeures : d’abord, environ 30 % des masters soumis à accréditation ne sont pas validés, essentiellement en raison du manque d’encadrants pédagogiques qualifiés ; ensuite, les masters déjà accrédités, dont une seule cohorte a été évaluée, présentent de nombreuses défaillances, principalement liées à ce même déficit de ressources humaines capables d’assurer l’encadrement académique, les activités pratiques et le suivi des travaux de recherche.

Populisme et incohérence institutionnelle

Ces conclusions posent une question centrale : comment le ministre peut-il promettre d’ouvrir les masters à tous les titulaires d’une licence et, dans le même temps, envisager des masters payants pour les fonctionnaires, alors que le système peine déjà à garantir la qualité des formations existantes ?

Quels critères seront adoptés pour ces nouveaux cursus ? Seront-ils identiques pour tous ou assouplis pour les filières rentables ? L’université finira-t-elle par privilégier les formations à profit au détriment de celles gratuites et publiques ? Et par la suite, ces masters bénéficieront-ils d’une même cote sur le marché de l’emploi ?

Pour donner du sens à sa politique, le ministre devrait retrouver le langage de la rationalité : présenter la cohérence entre les postes budgétaires créés et les ambitions annoncées, repenser les critères pédagogiques d’accréditation des masters afin de préserver la qualité de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, et cesser de recourir à un discours populiste qui ne fait qu’instaurer un climat d’incertitude.

Car, face à l’impossibilité de généraliser le master pour tous et la facilité avec laquelle se multiplient les formations payantes pour fonctionnaires, les étudiants en viendront à une conclusion dangereuse : l’université marocaine devient celle de ceux qui paient, non de ceux qui ont droit à l’éducation gratuite.

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Mots Clés 

enseignement supérieur | masters | Azeddine Midaoui | gratuité | politiques éducatives | Maroc | populisme | qualité


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